De l’Encre Sur La Trousse

Ceci est mon premier Livre

Il a été entièrement réalisé par mes soins et fabriqué avec amour de manière autonome.

Le lecteur en est le co-auteur.

Le lecteur en est l’éditeur.

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Amuses, toi bien,

Bonne Lecture,

erwantoutcourt.

Carte Postale #1

Bédée, Le  26 Juillet 2018

Chère Maman, Cher Papa,

Mes vacances se passent bien. Il fait beau et chaud et les animaux ont l’air heureux car ils chantent, surtout les grillons, même s’ils n’ont pas un répertoire très varié.

Hier matin, les témoins de jéhovah sont venus me voir.
Au début j’étais un peu agacé car ils m’ont réveillé mais comme ils étaient très gentils, après ça a été mieux.

Alors j’ai discuté un peu avec eux.

La première Dame parlait beaucoup, de Dieu, de la Bible surtout mais c’est dommage elle avait oublié la sienne. Elle parlait de la chrétienté et des jolies réponses qu’elle peut nous apporter surtout en ce moment car le monde va mal et que les gens se sentent tristes et seuls et ne se comportent pas bien les uns avec las autres. Elle parlait vraiment beaucoup et je n’arrivais pas trop à donner mon avis mais ce n’est pas grave car elle n’arrêtait pas de répéter que ce serait intéressant d’avoir mon point de vue donc ça m’a un peu rassuré. J’ai appris qu’il fallait que j’aille sur leur site internet pour leur parler. Je comprends, ça doit être mieux que de parler de vive voix à des humains, parce qu’en fait les humains quand tu leur parles, ils ne t’écoutent pas vraiment et puis les rares fois oú ils t’écoutent c’est pour répondre mais rarement pour comprendre.

La deuxième Dame, elle avait l’air un peu bizarre. On aurait dit qu’elle n’était pas là, un peu comme mamie Paule quand elle prend ses médicaments ou comme Tonton Jean quand il mange les petits champignons blancs qui poussent dans le caca des vaches. Tonton Jean il me répète toujours que ce sont des champignons toxiques et qu’il les ramasse pour que le pharmacien les détruise mais je ne le crois pas trop car un jour j’ai trouvé une cachette où il y en avait plein qui séchaient dans des barquettes.
Alors cette Dame était bizarre, on aurait dit qu’elle ne servait à rien mais ce n’était pas grave, elle ne faisait pas peur non plus même si elle ressemblait à Bernadette Chirac.
C’est dommage, elle aussi avait oublié sa bible. Je n’ai vraiment pas eu du chance !
Ça m’a fait penser aux hommes politiques qui parlent sans cesse de Liberté, d’Egalité et de Fraternité mais qui n’ont jamais d’échantillons sur eux.

En tous cas, en partant les dames m’ont laissé une jolie brochure. Dedans il y a des mots et des dessins. Pour l’instant, j’ai regardé que les dessins car les mots c’est long à lire et après j’ai mal à la tête.
J’ai hate d’aller voir le site internet dont m’a parlé la dame qui parlait tout le temps car elle m’a dit qu’il y avait plein de vidéos.
C’est bien les vidéos.

J’espère que vous allez bien et que vous aussi vous faites de jolies rencontres,

Je vous embrasse,

Erwan.

18 : 3O

Ce matin était arrivé sans heurts mais pas sans amis. Un vent ferme, doux et sec était là, chantant comme une rangée de bois soufflants sans produire de notes. Des oiseaux imitaient les cuivres et jouaient, de concert, un air à la fois calme et inquiétant, doux et strident. Si cette oeuvre avait eu un titre, il aurait été un oxymore.

Il pleuvait mais ne faisait pas froid. Nous étions le matin et la lumière, le ciel, étaient ceux de dix-huit heures. Tous se réveillaient mais avaient l’énergie molle d’un fin de journée, à cet instant où tout peut basculer. Les corps aspirent à une sieste écrasante, ils se sentent aspirés par le sol, collés à leurs chaises, ressentant la gravité de façon plus intense. Alors tout bascule.

Lassés d’avoir attendu un repos qui ne viendra pas, toute fatigue s’efface. Les bâillements cessent et les paupières font mentir la pomme de newton. Tous se réveillaient, avec l’énergie folle d’une fin de journée, à cet instant, car tout a basculé. Chacun dans son coin s’affaire et tous ensemble il se passe quelque chose.

Le temps à beau passer il est toujours dix-huit heures trente.

La seule chose qui ait changé est que plus personne n’hésite entre le thé et la bière; Tous ou presque sirotent du calva. Et tous, ou presque, se sentent galvanisés par lui.

Tout devient transparent. Non, translucide. Tout n’est plus qu’atomes et molécules. Il en est qui sont des balles rebondissantes, s’amusant de toutes les parois, sur toutes les surfaces, explorant tous les plans. Et d’autres sont des bulles de savon virevoltant dans toutes les directions, animées par le hasard. Aucunes de ces balles ne s’entrechoquent, ni ne font éclater la moindre bulle. Tout n’est que fluidité et agilité, un peu comme si des singes et des chats décidaient de jouer ensemble à des jeux différents. A eux tous, ils sont de bien drôles de zèbres.

Cette journée, qui n’en finit pas d’être bloquée à la même heure, ne semble pas avoir d’emprise sur eux , ni les contrarier. Ils font ce qu’ils ont à faire, sont ce qu’ils ont à être, en se moquant pas mal du reste. Et, qui de rebondir, qui de virevolter, sans entraves et sans cesse, dans une cacophonie autant assourdissantes que délicieuse. Au fur et à mesure, de façon très subtile, presque imperceptible au départ, voilà que l’arythmie laisse place au synchronisme. C’est à croire que, qu’on le veuille ou non, et si marginal et libre que l’on se voudrait, l’alignement est toujours au bout du chemin. Bientôt, l’on voit planer sur cette aire de jeu, l’ombre d’un personnage bien singulier. C’est un pianiste qui possède quarante-quatre doigts à chacune de ses mains. Tantôt il égrène les notes une à une, les liant, les détachant, à l’envie; Tantôt plaque de petits accords plus ou moins orthodoxes. Vu le grand nombre de doigts dont il bénéficie, on peut dire que ça tricote pas mal et qu’il se passe des choses assez folles. Les accords se font de plus en plus fréquents, de plus en plus présents. Les rebonds se rapprochent les uns des autres et les bulles oscillent avec des phases de plus en plus similaires.

Tout à coup, PAN !

C’est le coup de feu.

Les quatre-vingt-huit doigts de cet énergumène s’abattent avec force, toutes en même temps, sur le clavier: Blam !

S’en suit un grand tremblement puis un fabuleux silence. Quelle merveille que de passer de zéro à cent puis de cent à zéro en un temps aussi bref ! La plénitude et le néant. Aussitôt, surpris autant que ravi par cette trouvaille, le voilà qui cesse tout engrènement. Il creuse un peu plus ce nouveau sillon, il insiste. Il plaque à nouveau, de ses mains pleines de doigts, le clavier, et encore, encore, encore: aliquoties repetita. Il joue avec le temps, avec le tempo, se joue de la tenue de l’accord, de la durée du silence. Et puis, comme piqué de frénésie, il accélère et plaque de plus en plus vite et de façon de plus en plus rapprochée. Cet amas de son est beau car il fini par ne former qu’une note et c’est le piano dans son entier qu’elle représente. Il s’exprime enfin complètement et nous montre qui il est, quand, d’habitude, nous n’en voyons et n’en comprenons que des bribes.

Blam Blam Blam Blam Blam Blam Blam Blam Blam…

Ça monte. Les résonances s’additionnent, ça s’épaissit. Enfin, après un demi soupir, il plaque une dernière fois les quatre-vingt-huit touches du piano, laissant ses doigts bien enfoncés dessus jusqu’a ce que les notes meurent d’elles mêmes, non pas d’épuisement mais de mort naturelle. Passer de cent à zéro avec la plus grande lenteur possible, et voir les balles rebondir de moins en moins haut jusqu’à en en être immobiles; Et contempler les bulles, oscillants comme des plumes, venir se coucher auprès d’elles, toutes au repos, prêtes pour un nouveau jeu.

De la plénitude au néant et du néant à la plénitude.

 

erwan tout court.

Bic Vert, Bic de Vipère

Et puis voilà que ça recommence.

Sans trop savoir pourquoi, j’ouvre mon cahier, je saisi le premier stylo que la petite poche de mon sac à dos offre à ma main. Peu importe qu’il soit vert et que cela rende cet écrit difficile à lire. En fin de compte, c’est assez cohérent vu les pattes de mouches qui me servent d’écriture.

« Attention à l’écriture ! »

« Copie presque illisible ! »

Voilà ce qui trônait presque toujours en haut de mes copies et devoirs lorsqu’ils me revenaient corrigés.

Tous ces professeurs ne sont plus là pour me le faire remarquer, ni être désobligeants et, quand j’y pense, je crois que je me suis toujours moqué de ces remarques. Avec le recul de ces années supplémentaires qui nous amènent à aujourd’hui, je me dis que leurs remarques étaient inutiles voire même irréfléchies, qu’elles n’étaient que le fruit d’une volonté de simplification de leur travail, ayants pour but une meilleure efficacité, un meilleur rendement ou tout simplement, moins de travail.

C’est ce que notre société moderne a pour fondement: passer chaque chose dans un moule unique afin que cela soit plus facile à trier, empiler, ranger. C’est sans doute un peu triste mais c’est humain. Inconsciemment, on cherche tous à se simplifier la vie, à vouloir améliorer et rendre plus fonctionnelles les choses que l’on fait, les tâches auxquelles on s’emploie. Quand j’y songe, je me dis que l’on peut se simplifier la vie de bien d’autres manières, sans avoir à gommer les traits qui nous sont propres et les coups de crayons que nous faisons dans la marge. Ne perdons pas de vue ce qui nous rend uniques.

Alors, que tu écrives d’une des plus belles manières qui soit, avec des pleins et des déliés, ou bien comme un cochon, continue de le faire car c’est ce que tu es. Et, si ce que tu es, ou bien ce que tu fais, ne convient pas aux autres, et bien, tant pis pour eux. Il y a, ici bas, quelque part, des êtres à qui tu plairas pour tout ce que tu es de fort et de faible, de beau et de laid et qui, s’ils te posent des questions et creusent au fond de toi, le feront pour mieux te connaitre et non pour te changer ni même te manipuler.

Et puis voilà que ça continue, sans trop savoir pourquoi.

Tout barbouiller de vert car c’est la couleur que m’a offert le hasard en cette fin d’après-midi, ce matin de fin de sieste. C’est une couleur que je n’aime pas tellement sauf quand je la croise au centre d’une paire d’yeux. Lorsque j’étais petit, les enfants que nous étions disaient que c’étaient des yeux de vipères; Je crois que c’était surtout pour la rime. Dans ces jeux d’enfants j’avais les yeux d’amoureux. Les ai-je encore aujourd’hui ?

Je pense que oui.

Je pense que oui et c’est tant mieux.

Je veux toujours aimer, et sourire, et ouvrir mes bras à qui voudra s’y blottir tant que le coeur m’en dit. Et si le coeur t’en dit et que mes yeux semblent te regarder, n’aies pas peur car ils ne se transformeront pas en gouffre. Ils ne changeront pas de couleur.

Ils ne changeront pas de couleurs.

 

erwantoutcourt.

(19 Mai 2015)

Le Petit Percussionniste

Ce matin là, il s’était réveillé profondément apaisé, serein. Il n’avait programmé aucun réveil, pourtant ses yeux s’étaient ouverts, lentement mais sans efforts ni aucun tiraillement ni sensation de froissement, à une heure plutôt naturelle si l’on se base sur la course du soleil.

Ce dernier était déjà bien haut, et bien visible sur ce ciel parfaitement dégagé, mais il était encore doux et tendre, accompagné de son amie la  brise qui soufflait sa fraicheur de jeunesse par tous les entrebâillements de fenêtres que la maison lui offrait. Ces courants d’air parvinrent gentiment jusqu’à sa chambre puis, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, l’enveloppèrent et le tirèrent du lit sans que son corps ne fisse le moindre faux mouvement. Par une chorégraphie fluide d’une extreme souplesse, voilà qu’il se trouvait debout, nu, respirant. Il resta là un instant, immobile, et s’amusa à faire bouger le moindre de ses os, la moindre de ses articulations, et contracter le moindre de ses muscles, dans l’ordre, en partant des orteils, puis la plante des pieds, les chevilles, les mollets, faisant le tour de son corps jusqu’au sommet de son crâne. Ce fût comme s’il avait démarré une machine, pièce après pièce.

Il était, à present, en pleine conscience de tout ce qui le constituait. Il fît un pas jusqu’au fauteuil qui se trouvait près de la porte d’entrée, ramassa le short et le t-shirt qui se trouvaient dessus, les enfila sans se presser et, avec la même aisance qui le guidait depuis le réveil, il sortît de la chambre.

A mesure qu’il approchait de la cuisine, il distingua une musique qui provenait du dehors, probablement de chez un voisin. Cette musique lui plût. Il n’en connaissait pas l’interprète et n’avait, d’ailleurs, pas vraiment l’air de chercher à le découvrir. Ça lui plaisait et cela suffît pour qu’il décide de ne pas en mettre lui même. Il alla à la fenêtre qui donnait sur le jardin de devant, qui lui donnait sur la rue et l’ouvrît complètement. Ce matin, son transistor comme sa chaine Hi-Fi resteraient muets. Cette musique indistincte et lointaine convenait parfaitement. Il se mît alors à preparer de quoi rompre le jeûne de la nuit.

Il commença par préparer du café et, le temps qu’il coule, prépara le reste. Il mît une poêle sur la gazinière, ayant saisi la boite d’allumettes qui se trouvait à coté, en craqua une puis alluma le feu. Enfin, il sortît du réfrigérateur des oeufs, du beurre, des légumes ainsi que des fruits frais. A présent, au bruit caractéristique du café qui passe, s’ajoutait celui du crépitement que font les oeufs dans l’huile chaude quand on les prépare « au plat ». Et, pendant que cette partition se jouait, tel un arrangement qu’il aurait écrit au thème qui se jouait au dehors, il commença à découper et à préparer ainsi divers assemblages de fruits et de légumes crus. Certains seraient arrosés d’un jus d’orange ou de citron, d’autres d’un filet d’huile d’olive, saupoudrés de sucre roux, de sel, de poivre, de plantes aromatiques.

Tout comme cette cérémonie du réveil à laquelle il avait donné vie malgré lui, la préparation de son repas était particulière, remarquable. On aurait dit un ballet. Chaque geste était juste, doux et parfaitement exécuté. On ne pouvait voir aucune hésitation, ni remarquer la moindre anicroche. Il était d’un calme absolu, démontrant une parfaite assurance et cependant tout à fait naturel. Le spectacle qui se jouait ici était semblable en tous points à ceux que nous offre la description des scènes quotidiennes, apparemment banales, dans les romans Japonais comme ceux de Yoko Ogawa: L’art de faire des petites choses un poème, une féerie. Ces petits rien qui ne semblent pas grand chose mais qui font tout. L’art de dire un grand nombre de phrases en très peu de mots et de façon ravissante.

Il continua ainsi, bercé par cette musique voisine, à laquelle s’était greffé crescendo le brouhaha de la ville s’éveillant, à remplir les bols et les ramequins, à garnir la corbeille à pain, dresser la table. Tout était en place, et de sa tasse de café comme de l’assiette qui contenait les oeufs, émanaient des vapeurs par petits filets matérialisants, bien sûr, la chaleur qui s’en dégageait mais aussi les parfums qu’ils délivraient sous forme de volutes dansant, tels des serpents que l’on charme, à la verticale. Il bu un grand verre d’eau fraiche puis s’assît. il se mît à manger tranquillement et  ses sens continuèrent leur éveil au gré des bouchées et des gorgées. Il écoutait la vie et ne pensait à rien, ni à ce qu’il avait fait la veille, ni à ce qu’il allait faire. Pour cet instant au moins, il se contentait d’être et c’est déjà beaucoup. Ce n’est même pas facile du tout. C’est ce qu’il se serait dit en son fort intérieur à cet instant s’il en avait eût un. Il passa ainsi la totalité de ce petit déjeuner à se fondre dans le monde, se calquer sur le temps, s’intercaler avec agilité entre chaque seconde. Une fois qu’il eût fini, il bût à nouveau un grand verre d’eau fraiche puis se leva. Il marcha jusqu’au salon, prît le paquet de cigarettes qui se trouvait là, sur une desserte et en retira une. De retour à la cuisine, il se saisît de la boite d’allumettes dont il se servait pour cuisiner et vint s’accouder au garde-corps en fer forgé qui ornementait la fenêtre donnant sur le jardin.

A sa vue s’offrait un Orme et un Hêtre qui, en plus de l’abriter de la rue, avait la bonté d’abriter un grand  nombre d’animaux dont une famille d’écureuils qu’il adorait voir crapahuter d’un arbre à l’autre. Ils le faisaient beaucoup rire. Il riait d’autant plus maintenant qu’on lui avait raconté pourquoi les écureuils passaient autant de temps à faire des provisions de noisettes. Un ami lui avait expliqué que cet animal avait la faculté d’être très bon cueilleur mais d’avoir très mauvaise mémoire, si bien qu’il oubliait sans cesse où se trouvaient ses cachettes et continuait ainsi d’en cacher pour ne pas en manquer quand l’hiver serait venu. Un court instant, il s’était demandé si cette anecdote était vraie mais l’instant d’après, il s’était dit que cela n’avait aucune espèce d’importance     . C’était, pour lui, la meilleure des explications.

Tandis qu’il fumait, par petites bouffées, il regardait ce beau duo arboré qui lui faisait face. Machinalement il cherchait des yeux les écureuils. Les unes après les autres, il allait de cachette en cachette car, contrairement à ses petites amis roux, il n’en avait oublié aucune. Cependant ils n’étaient pas près d’elles, ni sur aucune branche du reste, pas même cachés par le moindre amas de feuilles. Il se dit qu’ils devaient encore dormir, tout simplement. Alors que, sa cigarette finie, il s’apprêtait à quitter son poste d’observation en quête d’un cendrier pour recueillir ce mégot qui, à present, lui brulait les doigts, il entendît dans l’orme un bruit qu’il n’avait jamais entendu auparavant. Une série de coups secs donnés sur du bois, semblables à ceux que l’on donne quand on frappe à une porte mais en moins creux. Ils avaient dû être donnés sur le tronc, se dit-il, à en juger la hauteur et particulièrement le timbre des notes que ces coups avaient émit. A peine son mégot éteint, il revint à sa balustrade, s’y accouda de nouveau puis ferma les yeux pour se focaliser au mieux sur ce nouveau message sonore. Il y eût alors une nouvelle série. Tac tac tac tac tac, un silence, tac tac tac tac tac tac tac tac et une pause. Cela ne faisait plus aucun doute en son esprit, il avait un nouvel invité et, qui sait, peut être un nouvel ami.

Après avoir passé quelques minutes à profiter de ce nouveau chant, il fût tout à fait convaincu que ce percussioniste était un pic-vert. Il en était ravi. Il passa quelques minutes de plus à l’écouter, les yeux clos. Il n’entendait plus la musique du voisin, ni même les murmures de la ville, rien que la pièce de claves que lui jouait l’oiseau. A present, il voulait le voir. Surtout, il voulait le voir à l’oeuvre. C’est beau le son du piano quand la partition est belle et qu’elle est exécutée avec sensibilité. Et, cela revêt une forme particulière quand on peut de surcroit regarder les mains du pianiste, qui dansent, courent, sautent, se croisent et se chevauchent. Il voulait voir les mains de ce pianiste là. Il rouvrit alors les yeux et commença à balayer l’orme du regard, partant du tronc, puis passant par chaque branche, chaque brindille, chaque feuille, et ce, jusqu’à la cime. Il passait en revue cet arbre tout comme il avait passé en revue son propre corps au levé. Il fît le tour de l’arbre en quelque sorte mais ne trouva pas l’oiseau. C’est qu’il n’en avait pas vraiment fait le tour. il quitta son poste d’observation et alla au jardin se planter près de l’arbre, se planquer près de lui.

Tac tac tac, tac, tac tac…

Tac tac tac tac tac tac tac tac tac….

Il jouait le petit, sans relâche. Il jouait et restait invisible.

Cet orme n’était pas haut. Un tronc large, et sur une grande partie dépourvu de branchage. Il était nu et droit sur plus de la moitié de sa longueur puis des branches l’habillait mais très modestement, autant que nous pouvons l’être au moment de l’été. Il avait les bras et les jambes nus pour ainsi dire, ce qui offrait à nos yeux une belle part de son corps. Malgré cela, aucune trace de notre ami pic-vert. Il avait beau rester immobile, se déplacer à pas feutrés, faire le tour de l’arbre, cette fois ci au sens propre, il ne parvenait pas à voir le petit animal. Il ne faisait que l’entendre. Il finît même par se demander s’il ne jouait pas à cache-cache avec lui. Il eût alors à l’esprit une vision très nette et amusante. Le pic-vert se tenait là, tout contre le tronc d’arbre, les pattes solidement ancrées dans l’écorce, le reste de son corps à la verticale et sa tête bien droite, le bec en avant prêt à frapper. Il frappait, tapotait, picorait, puis sentant l’homme se rapprocher, il s’arrêtait tout net et translatait habilement le long du tronc à la manière de ces voleurs que l’on voit dans les films et qui se déplacent collés au mur, les pieds posés sur une fine margelle, s’aidant des mains, les bras tendus, pour se hisser, se faufiler, le plus discrètement possible, se fondant dans le décor.

Il se dit alors que ce jeu pouvait durer longtemps et qu’il pouvait tourner en rond indéfiniment. C’est à croire qu’en ce jour le pic-vert voulait bien qu’on l’entende, signaler sa presence mais ne voulait pas qu’on l’approche. Pas encore. Il faisait un pas en avant, tendait une main en quelque sorte mais par timidité ou par peur cela s’arrêtait là. Il faudra que je l’apprivoise, se dît l’homme, et qu’il m’apprivoise aussi, qu’il s’habitue à moi. Il faut sans doute qu’il s’habitue à ce nouvel arbre songea-t-il ensuite.

Tandis que son esprit avait pensé cela, il ne s’était pas rendu compte que son corps avait cessé de se mouvoir. Il s’était, peu à peu, accroupi puis assis. Il avait fini par s’adosser à l’arbre, les jambes tendues devant lui. Il ferma les yeux et ne chercha plus à observer son petit percussionniste. Il continua à l’écouter raconter son histoire, paisiblement, toujours caressé par la brise qui n’avait cessé de souffler depuis le matin. Baigné de tout cela, il s’assoupît. L’oiseau chantait encore, à sa manière:

Tac tac tac…tac tac…tac.

 

erwan tout court.