Exalté par sa découverte, il fouillait et sondait le fond de ses poches avec empressement. Dans la poche droite de son pantalon, il trouva un mouchoir en papier et un trombone. Dans la gauche, sa main ne rencontra que le fond de la poche. Il inspecta ensuite ses poches arrières. L’une était tristement vide et il ne trouva dans l’autre qu’un tract qu’on lui avait distribué quelques minutes plus tôt et qu’il avait glissé là , à la hâte, puisqu’il n’avait pas fait l’effort de s’arrêter et n’avait pas pris la peine d’y jeter un œil. Il ne se souvenait même pas avoir parlé à la personne qui le lui avait donné. Il s’en voulut aussitôt et se sentit même un peu honteux. Il passa ensuite à l’inspection minutieuse de son manteau: un porte-carte, un paquet de cigarettes, un briquet, un autre trombone se trouvaient là mais toujours aucune pièce de monnaie. Quand il eut en main la clé de sa voiture, il eut une épiphanie. Il y aurait très certainement un peu de mitraille dans l’un des vide-poches car on finit toujours par y jeter, par réflexe, la monnaie du pain en se disant que cela servira pour le parcmètre même si l’on oubliait toujours de la prendre en sortant de la voiture et qu’alors on payait le fameux parcmètre avec une carte bleue.
Il sortit de la petite épicerie, ne se précipita pas même si son esprit avait envie de courir, de galoper. Il alla à sa voiture et, bonheur, trouva des pièces de monnaie dans le vide-poche central, devant le levier de vitesse. Il les prit toutes sans exception, les mit dans la poche gauche de son pantalon, celle dont il n’avait trouvé que le fond un peu plus tôt ; puis s’en retourna en direction de l’épicerie.
C’était une épicerie minuscule et à l’aspect suranné. Elle semblait inchangée depuis des lustres. Sa devanture n’avait pas vu de peinture fraiche depuis que les femmes avaient obtenu le droit de vote. À l’échelle de l’humanité c’était avant-hier mais à l’échelle d’une vie humaine cela commençait à dater tout de même un peu.
Au dessus de l’enseigne se trouvait un auvent dont la toile avait été décolorée par des années de morsures solaires et était percée par endroit si bien que, les jours de pluie, les marchandises entreposées dessous prenaient une douche.
L’intérieur de la boutique était à l’image de sa devanture. On y trouvait des boites en fer décorées, des bocaux aux parois devenues troubles et toutes sortes d’objets et denrées non agencées, à la manière d’un bazar. Et, dans tout ce joli bazar, au milieu des bonbecs, elle était là: une boite de Veinards.
L’épicière avait mis une étiquette récente qui affichait le prix en euros mais on pouvait encore voir, sur le support cartonné de la boite, le coût des Veinards en centimes de francs. Il s’était bien demandé pourquoi cette dame avait pris la peine de faire cela puisqu’on ne fabriquait plus ces chewing-gums depuis près de 40 ans.
Espérait-elle vraiment en vendre ? En vendait-elle ? La seule chose qui était certaine, c’est qu’elle allait en vendre.
Quand il avait aperçu la boite, ses yeux s’étaient mis à briller, étinceler, et sa bouche avait pris la forme d’un sourire qui était remonté jusqu’à chacune de ses oreilles.
Dans les archives familiales, il y avait une photo qui montrait des enfants émerveillés devant le gâteau d’anniversaire de grand-mère Gabrielle dont ils étaient bien incapables de compter les cent bougies.
C’est exactement ce visage là que l’épicière avait dû apercevoir à la découverte de ce trésor. Un visage innocemment ravi comme on en voit peu.
Les veinards étaient affichés au prix de 20 centimes de francs et 20 cents d’euros. Comme il était dépourvu du moindre franc il se résolut à payer en euros. Il pensa tout de même que payer en franc ça aurait eu de l’allure. À cet instant il eut un sourire espiègle. Il en acheta autant que sa mitraille le lui permit. Il en prit de toutes les couleurs disponibles.
Après avoir payé, il regarda un instant ses Veinards, étalés sur le comptoir, à coté de la caisse enregistreuse. Il n’avait aucun souvenir du goût des fameux chewing-gums . Les différentes couleurs d’emballage annonçaient-elles une variété de goûts ? Il ne s’en souvenait pas non plus. De toutes façons, ces sucreries devaient être immangeables à présent ; leurs goûts n’avaient donc aucune espèce d’importance. Trente ans plus tôt ils n’en avaient déjà guère plus.
Ce dont il avait un exact souvenir était que les chewing-gums étaient de couleur blanche et que parfois on en trouvait des verts. Alors on gagnait aussitôt un autre chewing-gum. Le veinard n’était plus le bonbec mais l’heureux enfant qui en avait trouvé un vert. Il est fort possible que l’on achetait ces friandises uniquement dans le but d’en gagner un de plus. Les manger était tout à fait anecdotique, insignifiant, superflu.
Ces chewing-gums avait cela de particulier qu’ils ne ressemblaient pas à des chewing-gums. On aurait dit plutôt des bonbons. Ils étaient, en apparence, les parfaits cousins des petits pimousses. Ils avaient une forme de parallélépipède et étaient emballés en papillotes.
Pour les ouvrir, soit on tirait sur chacune de leurs extrémités, soit on faisait rouler nos pouces sur nos index, dans le sens des aiguilles d’une montre avec la main gauche et dans le sens anti-horaire de l’autre main. Apparaissaient alors les bonbecs comme des diablotins jaillissants de leurs boites.
Avec un empressement patient, il fit jaillir chacun de ces petits diables, les uns après les autres, sous les yeux amusés de la marchande. Tous les deux les avaient regardés apparaître, curieux de découvrir si la veine était à l’ordre du jour. Ils avaient silencieusement espéré, jusqu’au dernier, que l’un des chewing-gums fut vert mais tous étaient apparus livides, d’une blancheur à rendre jaloux un cachet d’aspirine. Dans cet état, ils auraient tout aussi bien pu se dissoudre dans un verre d’eau; cela aurait souligné la pétillance de ces instants.
Il referma soigneusement les papillotes, une à une. L’épicière lui tendit un petit sachet à bonbon en papier Kraft afin qu’il les emporte. Ils se regardèrent, se sourirent, se souhaitèrent une bonne journée et ne firent aucun commentaire car tous deux savaient. Il y a des regards qui en disent long.
Tous deux savaient que malgré les Veinards perdants, aujourd’hui, ils avaient gagné quelque chose.
erwantoutcourt.
(25-26 mars 2025)
(1er jet)



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