Elle avait toujours aimé la salle de biologie.
Plus tard on l’appellera la salle d’S.V.T mais c’était un terme sans saveur alors elle avait continué à dire biologie. C’était un mot doux, et, si l’on prenait le temps on se rendait compte qu’il pouvait en contenir d’autres. Billot, logis, gît, bi, bille, loge. Et puis bio ça lui faisait penser à Bioman. Elle n’aimait pas particulièrement ce programme télévisé mais elle aimait les super pouvoirs, les pouvoirs magiques.
Elle aimait la salle de biologie tout d’abord car le bâtiment qui l’abritait lui plaisait. C’était un long bâtiment de plein-pied. Il se situait sur l’un des cotés du terrain de handball. Depuis le rond central du terrain, ayant un embut à sa gauche et l’autre à sa droite, elle pouvait le contempler dans son ensemble. Entre l’une des lignes de touche et le bâtiment se trouvaient, côte-à-côte, deux sautoirs de saut en hauteur. Quand ils ne servaient pas, les matelas de réception étaient recouverts de grosses bâches de protection en plastique.
L’été ils se transformaient en plaques chauffantes molletonnées sur lesquelles elle adorait s’allonger. À l’automne se formaient à leurs surfaces des mares éphémères. Chaque année elle rêvait que des nénuphars s’y répandent et que des têtards s’y développent. En toutes saisons (sauf en automne évidemment) ces matelas étaient les meilleurs partenaires pour se détendre et rêvasser.
Quand elle prenait place sur l’un d’eux, c’était toujours dos au terrain de handball, face à ce long bâtiment sans âge, ni en bon état, ni en mauvais état: Il était en l’état, dans son jus. Un jus de salsepareille.
Au centre de la bâtisse, la toiture laissait place à un préau au fond duquel se trouvaient de grands lavabos en faïence et les robinets sensés les alimenter en eau étaient capricieux. Quand ils le voulaient bien, il délivraient l’eau la plus froide qu’elle ait pu toucher. Cela en faisait l’eau la plus agréable à boire, la plus désaltérante qu’elle ait pu procurer à ses papilles et à sa gorge.
À gauche de ce préau, la toiture recouvrait un bâtiment. Une petite partie de celui-ci, avec une porte donnant sur le préau, constituait la salle des profs de sport. À l’intérieur, hormis une table et quelques chaises, se trouvaient pêle-mêle, des livres, des coupes, des médailles, des accessoires et pas mal de poussière.
Aucun élève ne savait à quoi servait l’autre partie de ce bâtiment. Il y avait bien des portes et des fenêtres mais personne ne les avait jamais vu ouvertes. Il n’était même pas certain que quiconque en ait encore la clé. Cela faisait fantasmer beaucoup de monde, certains profs y compris.
Elle l’appelait la maison des légendes.
À droite du préau, les ardoises et la charpente protégeaient la salle de biologie. Du préau à la fin du bâtiment se trouvaient, dans l’ordre, une porte qui donnait sur le bureau de la professeure, trois grandes fenêtres rectangulaires qui amenaient la lumière naturelle jusqu’aux paillasses, enfin, une seconde porte qui elle menait au dernier rang de la classe, devant le mur aux porte-manteaux.
Les trois grandes fenêtres étaient surmontées de grilles et s’ouvraient par conséquent vers l’intérieur. Ces grilles étaient constituées d’un cadre sur lequel était soudé un grillage en métal épais ayant des losanges pour motif. Elle n’avait jamais compris la raison de leur présence car il n’y avait aucune raison apparente d’empêcher certains de pénétrer dans la salle, ou d’autres d’en sortir. Cela aurait été une salle au trésor ou bien la salle de retenue, elle aurait compris mais là, elle avait beau se creuser les méninges rien ne venait. Elle avait fini par croire que pas même le directeur ne pourrait fournir une explication et que, sans doute, c’était une idée des artisans qui avaient construit le bâtiment. C’était un délire d’artiste.
Les jours de grande lumière, l’armature des tous ces losanges y faisant obstacle, se retrouvaient projetés, de ci de là, des losanges aux contours d’ombre emplis de lumière. Chaque fois que cela arrivait cela la confortait dans cette idée que ces artisans géniaux avaient bel et bien imaginé une oeuvre aléatoire. Ça lui faisait chaud au coeur et la rassurait en même temps car cela prouvait qu’il y avait de la poésie partout; il fallait seulement prendre le temps de la dénicher.
À l’intérieur de la salle de biologie, il n’y avait rien de particulier en apparence. Au fond, dans le prolongement des porte-manteaux, se tenait une immense armoire à étagères. Elle allait du sol au plafond et ses deux grandes portes, vitrées par des petits carreaux, laissaient entrevoir ce qu’elle contenait. Des petites boites empilées les unes sur les autres, des livres mais aussi la réserve de craies pour le tableau noir et des brosses neuves pour le nettoyer.
A l’autre bout de la classe, sur une sorte d’estrade trônait le bureau de la prof, ou plutôt la paillasse de la prof: une grande surface de carrelage blanc avec un lavabo sur l’un des cotés. Juste derrière, sur le mur du fond, le traditionnel tableau noir commun à toutes les salles de classe.
Au milieu de la pièce, plusieurs rangées de paillasses, sur deux colonnes séparées par une allée centrale permettaient d’accueillir les élèves. Chaque rangée offrait à 4 élèves une place, au bout de chaque paillasse, coté allée centrale, un lavabo en faïence était à leur disposition. Au fond, cette salle ressemblait beaucoup à celle de physique-chimie, les becs bunsen en moins.
Tout comme le bâtiment, cette salle n’avait pas d’âge. Elle semblait dater de l’après-guerre mais on ne savait plus de quelle guerre il s’agissait.
Si les paillasses avaient été des bureaux en bois comme dans les autres classes, c’est sûr qu’elle y aurait découvert les noms de ses parents ou de ses grands-parents gravés dessus à l’aide d’un compas ou bien, collées dessous, des chewing-gums ou des boules de papier mâché contenant pour l’éternité leur ADN; encore aurait-il fallu que son ascendance ait grandi dans cette ville.
`L’éternité, c’est bien de cela qu’il s’agissait dans cette classe. D’ailleurs elle en avait l’odeur. Cela ne sentait pas mauvais, ce n’était pas désagréable mais c’était une odeur qui n’existait nulle part ailleurs.
C’était l’odeur de la vie; celle de toutes les vies qui s’y étaient écoulées, de toutes les âmes qui y étaient passées. L’odeur de tous les herbiers et toutes les matières organiques qui y avaient été exposées, montrées, étudiées. Celle de tous les produits qui y avaient été manipulés. Celle de tous les animaux qui y avaient été disséqués.
Pour elle c’était une odeur similaire à celle de la pâte à modeler, un subtil mélange de poussière et d’amande; et c’était aussi celle de la colle en pot « Cléopatra », la colle qui était comestible et qu’elle, comme tant d’enfants, avait gouté avec curiosité puis autant par plaisir que par goût de l’interdit et de l’inédit.
Cette salle, en fin de compte, était un peu comme la maison de ses grands-parents, ou l’appartement d’une vieille tante: un endroit rassurant, réconfortant, empli de découvertes à faire et de promesses de rêveries.
En symétrie des deux portes qui donnaient sur l’extérieur se trouvaient deux autres portes qui, elles, donnaient sur une autre pièce. Une sorte de remise. C’était un grand rectangle beaucoup plus long que large. Pour elle c’était la caverne d’Ali Baba, la caverne aux merveilles; et Aladin c’était elle.
À l’intérieur, aucune montagne de pièces d’or, aucun diamant, aucun rubis.
Ce qu’il y avait était de bien plus grande valeur, il n’y avait que des possibilités d’évasion, des songes suspendus et de la poésie dans l’attente d’être écrite puis dite. La lampe était la pièce en elle-même, et le génie celle ou celui qui s’y trouvait. Le tapis volant, c’était l’imaginaire et la connaissance. Le trésor, c’était savoir le monde et en faire autre chose; c’était découvrir l’Amérique en pensant avoir trouvé les Indes. Dans cette remise on se rappelait qu’il suffisait d’une pensée agréable pour voler.
Souvent, la professeure demandait à un ou une élève de bien vouloir l’y accompagner afin d’en rapporter des choses pour le cours. Elle était toujours la première à lever la main. La plupart des élèves la prenait pour une fayote. Ils n’avaient décidément rien compris. Grand bien leur fasse. Ils ne découvriraient sans doute jamais l’intérieur de la lampe. De toutes manières, une fois à l’intérieur, ils seraient bien capables de laisser le tapis volant inerte et crevant d’ennui sous un guéridon.
Parfois, elle avait même la chance de pouvoir y aller seule tandis que la prof commençait les préparatifs de la leçon du jour. C’était les visites qu’elle préférait. Elle ne pouvait jamais vraiment s’attarder mais cherchait toujours a étirer le temps le plus possible, au moins le temps d’un nouveau rêve. L’avantage des rêves c’est qu’il suffit d’une fraction de seconde pour qu’il se passe des milliers de choses. En rêve, on aurait même le temps d’écrire cent mille milliards de poèmes. C’est la magie du cerveau humain, si petit et si grand à la fois.
Dans le monde du vivant c’est l’une des seules choses qui ne s’arrête jamais de fonctionner. Il s’allume une fois formé dans la boite crânienne du fœtus et ne s’éteindra qu’une fois que le corps qui le contient aura rendu son dernier souffle. Il est comme un soleil. Le notre brille sans interruption depuis plus de quatre milliards d’années et brillera avec la même permanence pour les 5 milliards qui lui restent à vivre. Le soleil c’est le cerveau de notre galaxie, et, de jour comme de nuit il brille pour quelqu’un. Le cerveau pense, de jour comme de nuit. La nuit, il nous procure les rêves. À bien y réfléchir, les rêves ne sont que des pensées endormies.
Dans cette caverne travestie en remise il y avait des quantités de choses: c’était un bazar organisé.
Ici, des rangées de bocaux en verre qui conservaient dans du formol, des végétaux, des animaux, de toutes sortes. Il y avait même des choses que l’on avait bien du mal à identifier. Même la prof restait bouche bée parfois. Le formol a ses limites. Elle était persuadée que certains de ces bocaux contenaient des potions.
Là, se dressaient, empilées, des boites en cartons carrées. À l’intérieur, protégés dans du coton, des crânes de chats. Il y en avait des dizaines. Plus loin, plein de sortes de livres dont des exemplaires plutôt anciens avec des couvertures en cuir et dont les titres étaient indiqués par des lettres dorées. Parmi tous ces livres elle avait, un jour, aperçu un grimoire. Quand elle le vit, elle repensa aussitôt aux potions des bocaux-mystères.
On trouvait aussi, sur des étagères, et parfois empilées depuis le sol, des encyclopédies, des herbiers, des almanachs. De tout émanait une odeur de marché aux puces, mélange de celle du papier devenu humide et qui avait séché à nouveau, celle du bois ciré, celle du formol, celle des fleurs séchées et de la chlorophylle fanée.
Il y avait, dans l’un des coins de la pièce, deux squelettes. Elle aimait bien les squelettes parce qu’on y voyait à l’intérieur des gens. Le premier squelette ne montrait que l’ossature humaine. Le second nous laissait voir, représentés en relief , les organes du corps humain dans la cage thoracique ainsi que le cerveau à l’intérieur de la boite crânienne qui s’ouvrait par le sommet comme un œuf à la coque.
Tout ces organes étaient amovibles et on pouvait les manipuler pour mieux les observer.
Et puis, un petit peu partout se trouvaient des petits meubles et objets ne servant à rien. Il y avait même des choses cassées. Cette caverne était aussi un peu un débarras, un lieu d’oubli.
De tous les travaux pratiques, ceux qui marquaient le plus les esprits, mais aussi le corps, étaient les dissections. L’observation des crânes de chat avait laissé des traces chez certains élèves, c’était indéniable, mais les dissections faisaient tout de même franchir une toute autre étape.
Beaucoup avaient été émus voire indignés qu’on ose leur mettre dans les mains les crânes d’un animal que tous ou presque considéraient comme un ami. Elle, qui les aimait tant, ça lui avait donné l’impression de se rapprocher d’eux et de mieux les comprendre. Sans trop y réfléchir elle avait sacralisé ce moment avec le sentiment d’avoir accompli là un acte rituel. Et dans sa tête s’était déroulé toute une cérémonie. Elle avait effectué tous ses gestes avec le plus grand des tacts et une délicatesse extrême, fidèle à sa nature , repoussant les limites de ses habitudes.
En revanche, le plus souvent, la dissection d’animaux l’ennuyait un peu. Elle en comprenait l’intérêt mais cela ne la passionnait pas, ne l’animait pas. Déjà, l’odeur du formol était si fade, si figée. Cela renforçait le coté inanimé et flasque de la chose. Chez les autres enfants les réactions étaient variées. Cela en répugnait certains, d’autres étaient carrément effrayés et se retrouvaient prostrés, figés, ne voulant rien faire, rien toucher, rien sentir; ne rien ressentir. Les plus sadiques, ceux qui aimaient brûler les gendarmes à la loupe ou appuyer sur les vers de terre d’un bout à l’autre pour les voir se vider de l’intérieur, ne cachaient pas leur excitation. Bien souvent, ils finissaient par être déçus car manipuler et décortiquer des animaux inertes leur semblait aussi frustrant que de chercher à embêter et faire disjoncter quelqu’un qui ne s’énervait pas et gardait tout son calme. C’était triste comme une baguette sans sel.
Quoi qu’il en soit, et tous autant qu’ils étaient, le jour de la dissection des écrevisses, la classe avait été unanime. Isoler le système nerveux de cet animal, c’était bien joli mais c’était tout de même un beau gâchis !
Tandis qu’à la poêle, avec de l’ail et un peu de persil, ça aurait été délicieux !
Même ceux qui n’aiment pas ce qui vient de la mer et les végétariens avaient eu cette pensée, c’est dire.
Un beau jour, la prof avait projeté de leur faire disséquer des pelotes de réjection. Elle en avait apporté autant qu’il y avait d’élèves.
Ces fameuses pelotes sont des sortes de boules rejetées par certains oiseaux comme les rapaces, certains corvidés, les laridés et beaucoup d’autres espèces. Elles sont rejetées par le bec et contiennent des éléments, souvent durs, non digérés, des proies qu’ils avalent en entier. On les retrouve le plus souvent près des nids ou des perchoirs. Avec les rapaces nocturnes comme les chouettes et les hiboux on peut retrouver ces pelotes au fond d’une vieille grange ou bien au pied d’un clocher.
Les pelotes qu’ils avaient eu à étudier ce jour là avaient été rejetées par des chouettes effraies essentiellement, mais aussi quelques hulottes au dire de la prof. Déjà qu’elle adorait les chouettes en temps normal, là, elle avait été absolument fascinée par cette histoire de pelotes. Elle avait aussitôt commencé à s’imaginer des tonnes de choses et tout un tas d’images avaient défilées dans son esprit comme un diaporama sous forme de flashes.
La pelote qui avait été déposée devant elle était cylindrique et arrondie aux extrémités. Elle ressemblait un peu à un ballon de rugby. Celle de son voisin avait une forme de boulette, on aurait dit un calot terre. Ces pelotes n’étaient pas bien grosses, une vingtaine de millimètres en largeur et une cinquantaine en longueur.
Elle prit la sienne délicatement entre le pouce et l’index et commença à l’observer. L’extérieur semblait être constitué de poils. C’était doux et rêche à la fois. Elle l’approcha de ses narines mais l’odeur qui lui parvenait paraissait être plus celle de la boite dans laquelle elle avait été stockée que celle de la pelote en elle-même: vieux carton, ouate et poudre d’ennui.
En observant de plus près l’enveloppe extérieure elle s’était aperçu qu’il y avait des types de poils différents. Certains paraissaient être les poils d’un petit rongeur, mulot ou musaraigne; d’autres lui avait fait penser à un lapin. Instinctivement, elle avait compris les raisons de la rugosité ainsi que de la douceur qu’elle ressentait en passant ses doigts à la surface de la pelote. De façon parfaitement subjective elle attribua le poil rêche au mulot et le doux au lapin.
Elle adorait les lapins !
Enfin, elle reposa la pelote sur sa paillasse, se saisit d’un petit scalpel et entreprit de l’ouvrir en deux pour en découvrir le contenu. La chasse au trésor était ouverte.
Elle y trouva des petits os, des éclats de coquille d’œuf ainsi que des écailles dont elle n’arriva pas à déterminer si elles étaient celles d’un poisson, d’un lézard ou d’un serpent.
En fin de compte, ces pelotes de chouette étaient un peu comme les petites boites jaunes des Kinder surprise sauf qu’il n’y avait pas de mode d’emploi pour assembler la surprise. Elle se dit que ce n’était pas plus mal parce que les modes d’emploi ça tue l’imagination.
À cause de leurs couleurs ternes, nuances de gris teintées de marron, et de leurs contenus, la plupart des élèves avaient trouvé ça « dégueu ». L’un de ses camarades avait dit que c’était du caca de chouette. En le disant, il réalisa ce qu’il venait de dire et éloigna ses mains le plus possible de sa pelote en faisant la grimace. Sa voisine, un peu plus maline et surtout perspicace, lui fit remarquer que si c’était rejeté par le bec ça ne pouvait pas être du caca mais plutôt du vomi. Elle avait dit ça sur un ton crâneur de mademoiselle je-sais-tout, ce qui avait agacé pas mal d’enfants mais elle avait un peu raison. On commença à entendre le mot dégueulis se propager et se répandre dans la classe à demi-voix. À chaque reprise, les syllabes se détachaient de plus en plus et le nombre de i à la fin du mot grandissait: Dé—gueu——liiiiii.
Dans la cour de récréation, l’insulte « dégueuli de chouette » avait sévi pendant de longues semaines après cet épisode.
Alors que l’idée, et surtout l’image qui en découlait, de la chouette en train de vomir avait répugné tout le monde; c’est tout autre chose qui lui vint en tête et cela avait fait naitre des petites étoiles dans ses yeux écarquillés. Pour elle, il était impensable qu’un oiseau aussi élégant, aussi discret vomisse comme un ivrogne ou quelqu’un qu’un met avarié aurait rendu malade.
Elle avait eu la vision d’une chouette, se déplaçant en catimini, tel un agent secret, de granges en clochers afin d’y déposer ces petites boules de poils, cachant ses surprises comme pour une chasse au trésor.
Elle s’était imaginé l’oiseau toussotant délicatement. Cette série de petites toux faisait remonter les boulettes dans sa bouche puis les faisait apparaître à l’orée de son bec. Alors elle venait les déposer en douceur sur le sol.
À partir de ce moment, elle n’eut plus qu’une idée en tête: apercevoir une chouette en train de le faire. Elle savait que la tâche serait ardue car la chouette est un animal qui excelle dans l’art du cache-cache.
Elle se souvenait très bien qu’une année une chouette effraie avait fréquenté les alentours de la maison de ses grands-parents paternels mais qu’elle n’avait fait que l’entendre. Elle n’avait pas réussi à la voir.
Chaque soir, à la nuit tombée, elle entendait son cri strident. La première fois elle avait eu peur et avait pensé à un ptérodactyle lançant une attaque. Après, elle s’était habitué. Elle s’asseyait dans le jardin, se tenait immobile et scrutait le ciel. La chouette chassait et poussait son cri par intermittence tantôt à sa droite, tantôt à gauche, devant elle puis derrière. Parfois le cri passait en rase-motte au dessus de sa tête. Il passait si près qu’elle aurait pu le toucher. Elle ne vit jamais l’oiseau. Elle n’entendit même jamais un bruissement d’aile.
Comme elle était volontaire, déterminée et un peu têtue, elle décréta que pour les pelotes ça ne se passerait pas comme ça. Elle avait élaboré un plan.
D’abord il faudrait enquêter dans les granges et dans les églises alentours pour repérer des pelotes. Ensuite elle se posterait près d’une des zones de pelotes se faisant la plus discrète possible, camouflée s’il le fallait. Puis elle attendrait toute la nuit et reviendrait chaque nuit qui sera nécessaire pour parvenir à ses fins.
Elle s’était dit que la clé de la réussite était le son. La toux de la chouette était son talon d’Achille. Entendre les chouettes tousser était devenu son graal. Une fois la toux repérée, elle saurait dans quelle direction regarder, elle apercevrait enfin la chouette et pourrait voir comment naissent les pelotes.
***
Il l’avait écouté tout ce temps sans dire un mot, attentif.
Il avait bu ses paroles, vu dans sa tête toutes les descriptions, tous les détails. Il n’avait pas commenté. Seul son visage la regardant s’était exprimé. Parfois, il avait émis un son de surprise, d’approbation, de joie, rien de plus.
Il avait adoré son histoire.
Il avait savouré sa force de vie, ses rêves; la poésie qu’elle saupoudrait dans toutes choses. Cela avait fortement résonné en lui.
Il s’était souvenu de son petit percussionniste, ce pic-vert qu’il avait entendu jouer des wood-blocks avec son bec mais qu’il n’avait jamais réussi à apercevoir en pleine action comme si ses concerts devaient impérativement se donner à l’aveugle.
Un jour prochain il raconterait à son tour son histoire.
Pour l’instant, il avait envie de savourer ce moment avec elle. Il avait également bien saisi qu’elle n’avait pas encore réussi à entendre les chouettes tousser et qu’elle ne comptait pas baisser les bras. Il avait envie de les entendre à présent.
Si elle était d’accord, il ira se camoufler avec elle au fond des granges ou dans les recoins des clochers. En échange de ce cadeau, il lui proposera d’aller trouver le petit percussionniste et de voir avec quelle agilité il utilisait son bec pour faire de la musique.
Il se mit à sourire avec espièglerie. Elle le remarqua et sourit à son tour. Ils ne se dirent plus un mot. Il s’étaient compris et savouraient ensemble ce silence plein de promesses.
erwantoutcourt.
(25-29 janvier 2025)
(2nde mouture)

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