Être ou ne pas être un homme

Simone de Beauvoir a écrit qu’on ne naissait pas femme mais qu’on le devenait. Loin de moi l’envie de m’approprier sa pensée et son travail et loin de moi la prétention de présenter ici une réflexion aussi poussée, précise, puissante que celles qui constituent son oeuvre.
Il n’en est pas moins sûr à mes yeux que l’on ne puisse pas affirmer que l’on ne nait pas homme, on le devient. Les hommes apprennent à agir comme on attend qu’un homme se comporte au sein de sa culture et il joue le rôle social « attendu » de lui par sa civilisation, à son époque.
Que se passe-t-il si ce rôle social ne lui convient pas et si les modèles proposés le mettent mal à l’aise ? Est-ce possible d’être considéré comme un homme en étant quelqu’un d’autre que le rôle assigné, attribué par une société donnée, en suivant une autre voie ? Et, le choix d’une autre voie, qu’elle soit ressentie, innée, pensée, réfléchie, conscientisée, ou tout cela à la fois, peut-il mener à des conflits avec les autres hommes, avec soi-même, avec la société en général et l’ensemble des humains qui la composent ?
Loin de penser que le modèle d’homme qui est proposé dans notre civilisation occidentale soit un fruit entièrement pourri, il n’en est pas moins vrai que ce fruit contient plus d’un vers. Est-ce possible alors de trier le bon grain de l’ivraie sans heurts, être autre tout en restant homme, sans être marginalisé, moqué, dénigré, exclus ? Se pourrait-il même que l’on puisse parvenir à définir un nouveau rôle social pour les hommes, avec de nouveaux comportements, une nouvelle place dans ce monde ? Une place moins rigide, moins oppressante, moins violente pour toustes ?

Je suis né à la fin du siècle dernier et qui plus est, la fin d’un millénaire. Et j’ai bien peur que la définition de l’homme et son rôle social lors de ma naissance datait de bien plus d’un millénaire.
Or, à ma naissance, la seule chose qui était déterminée était le fait que j’étais un hominidé mâle du genre Homo. Ce qui suivra ne sera que construction et déconstruction.
De ma naissance jusqu’à école primaire, il me semble que je n’ai eu ni à me déterminer, ni à agir spécialement comme un garçon, un petit homme. J’étais 22 paires de chromosomes + 1 paire de chromosomes sexuels XY. Autour de moi, d’autres hominidés du genre Homo étaient ces mêmes 22 paires de chromosomes + 1 paire de chromosomes sexuels XY ou XX (je découvrirais bien plus tard qu’il pouvait en être autrement et ce pour plusieurs de ces 23 paires de chromosomes).
Ma mémoire me fait certainement défaut cependant j’ai l’impression qu’à ce moment de notre développement mes camarades XX, XY et moi-même ne sommes définis que par notre sexe, mâle ou femelle et pas encore par notre genre. C’est l’époque de l’éveil. On apprend à marcher, parler, on met le carré dans le carré, le triangle dans le triangle, on met nos mains dans la peinture, on fait la sieste, on joue dans le bac à sable. Mais c’est sûrement aussi le moment où l’on commence à habiller les garçons d’une façon et le plus souvent en bleu, et les filles d’une autre et le plus souvent en rose.
Il est fort à parier que bientôt nos différents habillements nous amèneront à avoir des activités différentes et à jouer à des jeux différents. Alors nous commencerons, lentement mais surement, à jouer les rôles socialement attribués à nos sexes respectifs, à devenir homme et femme, masculin et féminin.
Les jeux justement, parlons-en.

C’est à l’école primaire que j’ai commencé, inconsciemment, à ressentir les bizarreries, sentir des décalages, à ne pas toujours comprendre ce qui se jouait et pourquoi (ou à ne pas vouloir y jouer). C’est alors que j’ai commencé à ne pas être toujours à l’aise avec le comportement de mes congénères, les petits garçons surtout. Un jeu de pouvoir peu à peu s’installait, s’immisçait entre nous toustes. Ce jeu de pouvoir me dérangeait, il me paraissait absurde, incongru; il m’ennuyait, me chagrinait.
Le jeu qui occupait les garçons la plupart du temps était le football. Le terrain de foot occupait, quant à lui, la plus grande partie de la cour de récréation. Afin d’y jouer, la tribu des petits garçons procédait ainsi: 2 chefs d’équipe auto-proclamés se défiaient à pile ou face ou au jeu du chou-fleur afin de déterminer qui choisirait ses coéquipiers en premier, le but étant, bien sûr, d’être à même de prendre dans son équipe ceux que l’on considérait être les meilleurs joueurs, ceux dont on voulait se faire bien voir ou ceux à qui l’on voulait attribuer une faveur. C’était déjà un processus de domination/validation hiérarchisant les valeurs réelles ou supposées , établissant les connivences, attribuant les mérites. Les chefs d’équipe choisissaient, l’un après l’autre, leurs équipiers dans l’ordre décroissant, du plus fort au plus faible, du plus désiré au moins désiré. On pouvait alors se sentir heureux et fier d’avoir été choisi relativement tôt par un autre enfant que l’on pensait estimé; ou se sentir mal, triste et confus d’avoir été choisi un peu tard ou de n’avoir pas été choisi par un autre enfant que l’on pensait estimé, dont on pensait qu’il était ou serait notre ami. Je vous laisse imaginer l’état d’esprit et l’état émotionnel de ceux qui étaient choisis en dernier, par défaut.
Il parait évident que le chef d’équipe qui gagnait le droit de faire ses courses en premier obtenait à la fois le privilège de prendre dans son équipe le meilleur joueur après lui (puisqu’il en était le chef), et celui de faire en sorte que le plus nul se retrouve dans l’autre équipe. Il me semble nécessaire de préciser que, les équipes de foot ne pouvant être extensibles, certains enfants n’avaient tout simplement pas le droit de postuler, pas le droit de jouer. Ceux-là devaient se trouver une autre occupation.
À propos du football une autre chose m’interpellait, le fait que pratiquement tous les joueurs (en tous cas les plus dominants) voulaient être attaquant et quasiment personne ne se bousculait pour défendre ou être gardien de but. Il semblait que mettre des buts avait plus de valeur que d’empêcher les autres d’en mettre ou d’arrêter la balle avant qu’elle ne pénètre dans la cage. Le football était un jeu d’équipe certes mais dans lequel tous les membres de l’équipe n’avaient pas la même valeur, ne récoltaient pas la même gloire. La victoire était le plus souvent due à ceux qui avaient marqué des buts et non également à ceux qui avaient empêché les autres d’en mettre. La défaite, elle, était le plus souvent due aux défenseurs qui avaient été incapables de stopper l’attaque adverse et non également aux attaquants qui n’avaient pas réussi à marquer.
Le rappeur Booba, il y a quelques années, a fait un morceau dans lequel il chante: « Il n’y a que des numéros 10 dans ma team ». Le numéro 10 c’est un joueur offensif, il joue à l’avant centre de l’attaque. Le numéro 10 c’est Zidane. C’est vraiment absurde de penser qu’on puisse jouer au football qu’avec des attaquants; surtout avec des attaquants ayant tous le même profil…les mêmes atouts…et les mêmes « défauts ». Ce sont ces mêmes petits garçons qui, lorsqu’ils jouent à la guerre, veulent tous être celui qui atteint le camp ennemi en premier ou qui meurt au combat mais jamais être, ni dans l’intendance, ni dans l’infirmerie. Les vrais héros plantent des drapeaux ou meurent au champs d’honneur. Il est quasiment inconcevable que le héros puisse être celui qui déambule sous une pluie d’obus, habillé en blanc, et armé seulement d’un brancard.

Bien sûr, j’ai parfois joué au football et à la guerre, mais quand ces rapports de force et toutes ces absurdités m’épuisaient, heureusement, il y avait d’autres garçons, qui jouaient à d’autres jeux, avec d’autres moeurs mais ils représentaient une toute petite minorité.
Le plus souvent, je m’en allais jouer avec les filles.
Je ne sais pas comment elles se comportaient entre elles quand les garçons ne jouaient pas avec elles mais en leur présence je ne ressentais pas ces jeux de pouvoir, de récompense et d’exclusion. J’avais l’impression que les garçons jouaient avant tout pour eux-mêmes, pour sortir du lot, et que les filles jouaient davantage ensemble, pour le partage et le divertissement. Et je suis persuadé que ces comportements ne sont pas innés, il sont la reproduction de ce qui se joue à la maison, dans les familles, dans la société des adultes; ils sont le mimétisme de ce qui se raconte dans les livres, de ce qui se voit dans les films.
Évidemment, j’ai eu pas mal de copains avec qui j’ai ri, joué et passé de bons moments; avec qui j’ai de chouettes souvenirs mais auprès de qui j’ai aussi ressenti mes premières peines, mes premières incompréhensions et auprès de qui je me sentais en décalage et pas toujours accepté. Malgré moi j’étais en marge.
Ainsi, très souvent, je jouais avec les filles et pas dans le but de jouer au docteur ou a touche-pipi. Je jouais avec les filles car c’était plus simple, plus doux, moins violent, moins excluant. Je jouais avec elles à la marelle, à l’élastique, à la dinette, à la poupée et c’était chouette. Ensemble on inventait des choses, on s’amusait sans qu’il y ait forcément quelque chose à gagner, quelque chose à prouver, et sans avoir à rabaisser quelqu’un ou être rabaissé. J’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts qui m’ont laissé être qui je voulais être et faire ce que je voulais faire. Cependant, je peux vous dire qu’auprès de mes petits camarades, jouer à la dinette ou à la poupée, c’était franchement pas bien vu et ça m’a valu bien des moqueries et des mises à l’écart.
Quand je jouais aux billes, j’étais cool mais quand je jouais à la poupée, j’étais bizarre; je n’étais pas un garçon.
C’est vraiment à partir de ce moment que j’ai commencé, parfois, à avoir honte d’en être un. En tous cas, le pouvoir et la violence ne me plaisaient pas et je ne voulais pas me conformer à cela pour être considéré comme un garçon. Je ne voulais pas non plus que l’on pense que j’avais ces attributs et ce caractère parce que j’étais un garçon.
Pour moi, être un garçon, ce n’était pas suivre un modèle, entrer dans un moule. Ce n’était pas comportemental mais biologique. J’avais un pénis, c’est tout, et je faisais pipi debout. Et, j’avais la même place sur terre et dans la société que n’importe lequel des autres enfants et pouvait interagir avec eux comme bon me semble, sur un pied d’égalité, en partageant tout, l’espace, les activités, la parole, sans hiérarchie.

C’est à l’adolescence, et ça n’a pas été démenti à l’âge dit « adulte », que les choses ont pris de l’ampleur, et que, l’air de rien, comme si c’était « normal », naturel, et sans que grand monde ne s’en offusque, les rapports des garçons entre eux sont devenus plus compétitifs, plus violents; et que le rapport des garçons aux filles a commencé aussi à être plutôt violent, presque malsain.
Les garçons semblaient être voués à être en compétition permanente entre eux et voués à conquérir le plus de filles possible tel le chasseur-cueilleur qu’ils sont sensés être.
Qui sera le plus grand, le plus fort, le plus drôle, qui sautera le plus loin, le plus haut, courra le plus vite pour obtenir le meilleur job et gagner le plus d’argent et avoir la plus belle maison et se payer les meilleures vacances; et, bien entendu, qui embrassera le plus de filles, caressera le plus de seins, obtiendra le plus grand tableau de chasse; qui possédera le plus de corps ?
Même cet anarchiste de Léo Ferré, dont j’aime beaucoup le travail par ailleurs, disait dans l’une de ses chansons: « Nous sommes des chiens. Laissez venir à nous les chiennes car elles sont faites pour ça et pour nous ». L’écrivait-il au premier degré ou pour dénoncer ce comportement ? Seul lui pourrait le dire. Laissons lui le bénéfice du doute puisqu’il n’est plus de ce monde.
Ainsi, dans cette période de puberté pendant laquelle nous commençons à avoir du désir et des pulsions sexuelles, jeunes mâles et jeunes femelles cherchent à s’embrasser, se toucher, découvrir les corps des autres et redécouvrir le leur autrement, cherchent à partager d’autres expériences, à établir d’autres formes de liens et de complicité; mais, sauf exception de part et d’autre, pas de la même manière et pas dans le même but, et pas avec les mêmes contraintes, les mêmes peurs ni les même risques.
Bien des années plus tard, je constaterai avec effroi l’absurdité de notre fonctionnement et la violence que cela peut générer principalement envers les femelles dites « filles » et accessoirement sur la partie des mâles dits « garcons » qui se trouvent être différents du reste de la meute.
Aux « filles » on apprend à se méfier des hommes qui ne cherchent qu’à les posséder, les collectionner, les soumettre et au passage cela implique qu’elles contiennent et maîtrisent, voire taisent leurs propres pulsions sexuelles. Il faut réserver sa « fleur » pour la bonne personne, au mieux pour quelques bonnes personnes mais pas trop.
La plupart des « garcons » étant libres, quant à eux, d’expérimenter tout ce qui leur passe par la tête, libres de profiter de toutes jusqu’à ce qu’ils se rangent et fondent un foyer avec une femme respectable. Une minorité d’entre eux apprennent et constatent qu’on enseigne aux filles qu’elles doivent se méfier d’eux et que par conséquent ils sont potentiellement dangereux, vénéneux et que leur désir et leurs pulsions sont déplacés, sales en quelques sorte. Tedji à écrit dans son morceau « j’baisse les yeux »: « Faudrait te mater la tête haute tenue, mais j’baisse les yeux comme si j’te cachais quelque chose de nul… ». Il décrit très justement une situation qui me parait vraiment absurde car, quand on en parle aujourd’hui tous sexes confondus, la plupart du temps nous admettons toutes et tous observer les corps des autres et que cette observation puisse créer de la curiosité, du désir ou simplement égayer une journée. Et il parait évident que les filles ne regardent pas que les yeux, les mains ou le visage des mâles et/ou femelles qu’elles observent; et que les garçons ne regardent pas que les fesses, la poitrine des femelles et/ou mâles qu’ils observent.

Personnellement, en tant que mâle, homme cis-genre, hétérosexuel, bien sûr que je regarde l’entièreté d’une personne, son visage, son corps. En dehors de tout désir, je regarde les corps de tout le monde car j’ai toujours été curieux d’observer tout ce qui m’entoure et observer tous ceux et toutes celles qui m’entourent car j’aime regarder les postures, les différentes formes de mains, de nez etc. Dans le cadre de mon désir, ou plutôt sous l’impulsion de mes hormones et parfois, aussi sous l’impulsion de mon désir, je regarde des yeux, une bouche, le galbe d’un sein, d’une fesse ou d’une jambe et, souvent, ça n’est que d’ordre esthétique même si cela est dur à croire pour bon nombre de gens.
En tous cas je peux affirmer que chaque fois que j’ai embrassé une fille ou eu envie de le faire, cela n’a jamais été dû à la taille de ses seins ou la forme de ses fesses. je trouvais, avant tout, radieux un visage, joli un regard, charmante une allure, une façon d’être et ce en dépit d’une norme et de canons de beauté. Et, ce que je recherche est avant tout une connexion, une relation de complicité spéciale, différente de l’amitié en cela qu’en plus nous partageons l’expérience de la sexualité. Malgré moi c’était déjà ainsi à l’adolescence. Et je n’ai jamais ressenti un quelconque besoin de multiplier les conquêtes, chasser, posséder une multitude de corps. Je n’étais pas le seul garçon dans ce cas mais aux yeux de la plupart des jeunes hommes c’était bizarre, ce n’était pas logique, « normal » de ne pas passer à une autre fille une fois qu’on avait réussi à la dévêtir ou si elle refusait qu’on la dévêtisse. Moi, je ne disais rien et je ne les jugeais pas mais je trouvais cela violent. Et le vocabulaire était violent. les garçons parlaient de sauter, troncher les filles; ils ne baisaient pas avec elles ou plus joliment ne faisaient pas l’amour avec elles; ils les baisaient, ils leur faisaient l’amour. Il étaient actifs, possédants; elles étaient passives, possédées.
Alors parfois j’ai eu honte d’être un homme, ou plutôt, j’ai eu honte que ce soit ce que l’on appelait être un homme et parfois, souvent même, j’ai eu peur que l’on m’amalgame à cette meute. En tous cas, je ne voulais pas qu’on m’assimile à ces comportements. Et pourtant… Je sais que certaines filles se sont méfié de moi, qu’elles ont préféré ne pas venir me rencontrer, tenter de me séduire ou se laisser séduire par moi. Je le sais car certaines d’entre elles, devenues des amies entre-temps, me l’ont raconté, tout simplement. La fin de la puberté m’avait rendu, grand, beau, séduisant. Forcément je devais en profiter, en bon garçon qui se respecte, et chaque week-end baratiner une nouvelle fille pour enrichir ma collection. je ne peux pas leur jeter la pierre puisque c’est ce que la majorité des garçons faisait. Et la majorité des filles en souffrait et se retrouvait en pleurs régulièrement car on s’était joué d’elles. J’en sais quelque chose car j’ai souvent été leur confident.
J’ai eu la chance et le privilège de grandir dans une maison où il était possible de recevoir des ami.e.s et de faire la fête sans déranger les parents. Cette maison a donc régulièrement été le théâtre de fêtes au cours desquelles on a passé des moments mémorables, il faut le reconnaitre, et qui restent chers à mon coeur car nous avons beaucoup ri et fait de jolies bêtises. Cependant, lors de ces fêtes, il arrivait régulièrement que je me retrouve, au fond du jardin, à écouter une des filles de la bande qui était triste et désœuvrée à cause du comportement d’un ou plusieurs garçons. Ça se passait rarement dans l’autre sens. Et encore plus rarement de garçon à garçon. Les rares fois ou un garçon avait le coeur brisé (car les filles aussi savent briser les coeurs et se jouer des autres) il prenait sur lui, criait à qui veut l’entendre : « une de perdue, dix de retrouvées » et filait draguer une autre fille. Les garçons ne pleurent pas, ce sont des durs. Il prennent sur eux. Un homme, un vrai, ne connait pas la sensiblerie et puis, c’est bien connu, les filles préfèrent les « bad boys », les costauds qui sauront les protéger en cas de danger (sic).

Mon expérience amoureuse auprès des filles a débuté ainsi.
Ma première « vraie » amoureuse était grande, blonde, élancée, de celle que certains appellent une jolie fille et d’autres un sacré p’tit lot. Un des gars de la bande l’avait surnommé d’un prénom féminin américain. cela avait fait marré tout le monde et c’était resté. Ils l’auraient appelé Barbie s’ils avaient osé. Quelque part c’était une façon de l’humilier, de la rabaisser, de la réduire à comment ils la voyait « une biatche des magazines beaucoup plus bonne que la plus bonne de tes copines ». Étrangement, au sein du groupe, aucune des autres filles ne l’a jamais appelé ainsi. Elles utilisaient son prénom, c’est tout.
Certes, dans notre bande, on affublait toute le monde ou presque d’un surnom. Mais tous les surnoms n’ont pas le même sens, ne sont pas donnés dans le même but. Certains sont drôles, d’autres flatteurs, et enfin, certains sont blessants, humiliants. Je détestais qu’ils l’appellent par ce surnom. Je ne l’ai jamais utilisé. Parfois je les détestais d’être aussi cons mais, lâchement il faut bien l’avouer, je n’ai rien dit. Je me suis tu face au nombre, du fond de ma marge.
Ma seconde amoureuse elle, refusait tout rapport intime quel qu’il soit car son « amoureux » précédent s’était mal comporté. Une nuit, elle s’était réveillé avec son sexe en érection au creux de la main. Elle est loin d’être la seule à avoir vécu ce genre de traumatisme. Elle est loin d’être la seule à avoir croisé ma route et à m’avoir raconté les expériences traumatisantes qui ont ponctué leur découverte de la sexualité. Je ne m’étendrai pas sur le sujet.
Pendant ce temps là, j’essayais de nager en eaux troubles, de rester à la surface. Je recevais d’un coté les rêves et les désillusions et traumatismes de mes amies et amoureuses; j’essayais de suivre mes instincts, d’être honnête, sincère, de donner un maximum d’amour et de tendresse, non par calcul mais parce que c’est un élan qui m’y poussait, c’était une aspiration inconsciente. Je ressentais en moi une puissance d’amour total, une envie de partage profond, de mise à nu, sans jeux de pouvoir, sans calculs, sans manipulation, sans mesquinerie, sans retenue et surtout sans contrôle ni de soi, ni des autres. De l’autre coté, on me poussait à profiter, posséder, jouer (au mauvais sens du terme). J’étais beau garçon et les autres garçons ne comprenaient pas que je n’en profite pas, que je ne cherche pas à embrasser chaque fille qui avait l’air d’en avoir envie. J’avais une petit amie, et puis quoi ? Ce qui se passe en vacances reste en vacances. Car c’est ça être un homme et apprendre la vie: profiter de toutes les opportunités, provoquer sa chance, se servir. D’ailleurs être des goujats ne les a jamais empêché de continuer à l’être avec d’autres filles. Parfois, je vous jure, les hommes peuvent être de sacrés connards.
J’en profite tout de même, au passage, pour faire un tas de gros bisous à tous les garçons que j’ai croisé et qui avaient un coeur d’amadou et une âme de soie. Je pense à eux car ils ont souvent eu l’ego et l’amour propre blessés par les Alphas et le coeur brisé par des personnes qui avaient trop souffert des Alphas.
Parfois, je vous jure, les hommes peuvent être de sacrés connards. Et ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, je suis le plus souvent entouré de plus de femmes que d’hommes. Avec les femmes je peux être qui je suis, sans avoir à jouer un rôle, sans avoir à me battre, sans avoir à gueuler plus fort ou à me taire et sans qu’on vienne me chercher des poux dans la tête gratuitement.

Il y a quelques années, je rejoignais deux amies chez elles pour une soirée d’anniversaire. J’arrive dans les premiers, nous sommes en petit comité, tout se passe bien. Un petit peu plus tard arrivent deux couples. On se présente, on leur sert à boire, on se rassoit et on poursuit la soirée. Peu à peu, je m’aperçois que les deux mecs, chacun assis à coté de leurs copines, n’arrêtent pas de me regarder avec insistance. Au bout d’un moment, l’un d’eux se rapproche de moi et vient me parler. Il me demande ce que je fais dans la vie etc. Je lui explique que je suis un pote d’une telle, que je suis musicien et technicien du spectacle etc. Et là, il se met à tenir des propos bizarres, très gênants. Il m’explique que je dois faire rêver toutes les meufs avec mon métier passionnant et ma belle gueule, alors que lui il est banquier et que ça fait rêver personne. Il enchaîne en insistant sur le fait que je peux baiser toutes les meufs que je veux et que je peux même baiser sa meuf si je veux. Je commence à être très mal à l’aise et très en colère. J’essaye de rester calme et lui demande de me laisser tranquille. Je lui explique qu’il raconte des conneries et qu’il se fait des films car, en l’occurrence, lui, est là avec son amoureuse et que moi, je suis seul, et qu’en rentrant je ne vais baiser personne. Il n’en démord pas et prend à partie sa pote, la copine du deuxième gars chelou en lui demandant de confirmer que je pouvais baiser qui je voulais. Gênant n’est même plus le mot adéquat. Au bout d’un moment j’arrive à m’extirper de cette situation merdique et me met dans un coin pour respirer. A peine 10 minutes plus tard, son pote, le mâle du deuxième couple, l’autre qui me regardait en coin depuis un bail, vient me voir et me joue le même sketch.
Je vous jure, parfois, les hommes sont de sacrés connards. J’ai fini par rentrer chez moi plus tôt que prévu. Après ça j’avais plus envie de fréquenter les hommes. Je voulais être seul chez moi avec ma guitare, mes platines, mes cahiers et mes disques et qu’on me foute la paix. J’en fini par me demander, encore aujourd’hui, si c’est possible d’avoir une relation sincère d’homme à homme. Une relation sans compétition, sans jalousie, sans violence.

Et moi dans tout ça ?
Malgré ma sensibilité, malgré ma marginalité, malgré mes aspirations et mes envies d’amour, de bonté et de gentillesse, m’arrive-t-il d’être comme ces connards ?
Une très bonne amie m’a dit, il y a peu, et elle m’ôtait presque les mots de la bouche, que malgré nous on pouvait être sociétalement imprégné.e.s de choses et notamment du rôle et des comportements qui sont associés à nos genres respectifs. Alors, forcément, qu’on le veuille ou non, et autant que l’on puisse être dans la marge de ce monde et des modèles, parfois les femmes se comportent comme des femmes et les hommes comme des hommes. Alors, il est certain que, moi aussi, j’ai parfois pu être d’une certaine façon, violent et agressif avec d’autres hommes. Quant à la question de savoir si j’ai parfois eu des comportements déplacés ou problématiques avec des femmes, la réponse est assurément oui. Ça ne m’est pas arrivé souvent mais j’ai ces moments bien en tête, ils ne m’ont jamais quitté.
Ils ne m’ont jamais quitté parce que j’ai eu honte. Parce que je m’en suis voulu énormément. Je m’en suis voulu d’avoir été faible. Quelles séquelles cela aura laissé sur les personnes concernées, je ne le saurais probablement jamais. J’ai accepté cette honte et je ne cherche pas à justifier quoi que ce soit car il n’y a rien à justifier et que l’expliquer n’enlève rien à ce qui a été. En revanche, depuis, j’ai laissé la honte et me suis pardonné. Et si je croisais à nouveau les personnes concernées, si je croisais ces femmes, je leur demanderai pardon.
Si j’ai laissé la honte, c’est parce que rien de bon ne peut survivre dans la honte. Rien ne peut naitre. La honte ne peut pas être source d’amour, ni de soi, ni des autres. Sans pardon, ni à soi, ni aux autres, il ne peut y avoir d’amour non plus. Et je veux vivre dans l’amour. L’amour des autres, l’amour des gens qui me sont chers, l’amour de ceux et celles que je vais rencontrer. L’amour se fait sans pouvoir, sans violence, sans être sur ses gardes. Et au final, si certains profitent de ce lâcher prise, de ce don de soi, de cette soi-disant faiblesse ou fragilité, tant pis pour eux.
Je ne changerai pas, je ne m’adapterai pas, et je ne jouerai pas, ne jouerai plus à armes égales avec eux.
Tant pis pour eux car ils ne connaitront pas l’amour.

erwantoutcourt.

(2-6 décembre 2024)

(1er jet)

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