En ce monde, il est des choses qui sont invisibles.
Le plus souvent impalpables, non quantifiables,semblants ne pouvoir être, ni attrapées, ni contenues. Invisibles, certes, mais pas sans force, ni consequences; Invisibles mais non dépourvues de texture, emplies d’énergies ainsi que de nourriture, empreintes de magie. Ce sont tout ce qu’elles nous apportent, tous les effets qu’elles ont sur les choses, sur nous mêmes, sur tout ce qui nous entoure, qui nous font sentir leur existence par le biais de tous nos sens et le comportement de notre corps. Nos yeux ébahis, nos oreilles chatouillées, notre peau devenue moite, notre ventre bouillonnant, notre coeur qui s’emballe, notre esprit qui divague parfois au delà de toute raison, font alors qu’elles se matérialisent, prennent forme. C’est à travers tout cela que, finalement, elles prennent corps, qu’autour d’une sorte de squelette, la chair s’agglutine et qu’enfin une peau les recouvre, les rendants ainsi presque humaines, animales tout au moins.
En ce moment même, l’une de ces choses, l’un de ces quasi-spectre, se manifeste à moi. Je suis là, assis à une table, et sur cette table, posée autant que j’essaye de l’être, une bouteille de bière. Aussi étrange que cela puisse paraitre cette bouteille, par essence inanimée -même si son ouverture a libéré le gaz carbonique qu’elle contient, créant ainsi en elle un ballet non chorégraphié de bulles- ne fait rien d’autre qu’être là, attendant d’être bue, vidée de ce qu’elle contient pour enfin être rendue à qui de droit, être remplie à nouveau, refermée et attendre que cela recommence. Pourtant, elle chante.
Elle chante vous dis-je.
Pour l’instant, une note plutôt aigu. Tantôt brève, tantôt longue selon comment ce qui la produit arrive à maintenir son effet sur la bouteille, et cela semble aléatoire, comme un concours de circonstances. il ne parait y avoir aucun désir, aucune volonté de la bouteille à produire cette note et il parait en être de même pour la chose invisible qui, de fait, la co-produit avec elle. Chacun d’eux a son existence propre et le hasard les fait agir de concert. Le hasard fait bien les choses nan ?
Au fond de moi, je reconnais ce phénomène et cette force qui fait jaillir ce son de la gorge de la bouteille. Et je constate que c’est la meme force qui fait voler les jupes des filles et fait avancer les bateaux; De belles aventures en perspective en somme, de douces sensations. Bien sûr, cela peut mener à la tempête, et nous y mène souvent mais rien de ce qui vaut le coup ne se fait sans épreuves car l’aventure ça déménage, ça nous bouscule. C’est bien. Cela nous fait trouver en nous des ressources que l’on imaginait pas et au passage l’on ressort les choses enfouies en nous, tout ce que l’on repousse lorsque le calme apparent , la fausse quietude nous invite à la fainéantise . Souvenons nous qu’après la tempête, vient le calme, de nouveau, mais sous une autre forme.
Sachons laisser sa place à l’invisible et toutes les choses qu’il nous montre même lorsque l’on ferme les yeux ou que l’on tente de regarder ailleurs. Acceptons toutes les choses, y compris quand elles sont contradictoires. Un chat peut être à la fois mort et vivant. Ce n’est pas grave. Il se peut même que ce soit apaisant en fin de compte.
Pendant ce temps, alors que le chat apprenait à être mort et vivant à la fois, le niveau de la bouteille de bière descendait à mesure que son contenu, de ma bouche à mon estomac, descendait. Avec le concours intermittent de son allié invisible, la bouteille continuait d’égrener des notes tandis que la bière perdait ses bulles, même si ces deux phénomènes n’avaient aucuns liens entre eux. Les notes ont résonné de l’aigu au grave sans aucun soucis de justesse, comme une descente de gamme laissant par hasard s’exprimer des notes non admises en temps réel. Des notes qui existent pourtant mais que l’homme ne laisse pas s’exprimer. Est-ce là toute la beauté du hasard ? Faut-il comprendre qu’en vérité il n’existe pas de fausses notes ? N’est-on pas libres de faire ce que l’on veut, peu importe ce que les autres en disent et ce qui leur fait peur ?
Ce que je sais à cet instant c’est que même vide la bouteille de bière chante encore. Elle émet, à present, la note la plus grave que sa forme lui permet de chanter. Elle est ronde cette note, elle est suave, c’est doux.
Au fond de moi je sais ce qu’il se passe.
Le vent fait chanter ma bière, je crois que c’est un Mi bémol.
erwan tout court.
(30 Avril 2017)